Chers collègues,
Voici ce que j'ai écrit à la Société d'Histoire moderne qui se préoccupe fort de l'« affaire Pétré-Grenouilleau » en étant parfois peu informée sur cette partie de notre histoire:
Catherine Coquery-Vidrovitch
Professeure émérite
Université Paris-7 Denis Diderot
Laboratoire SEDET, UMR 7135

5 janvier 2006

À propos de :
Pétré-Grenouilleau. Olivier, Les traites négrières, essai d'histoire globale, Paris,
Gallimard/Bibliothèques des histoires, 474 pages, 32 euros.

Chers amis.
Bien entendu, il est, plus qu'inadmissible, idiot de porter plainte contre Olivier Pétré-Grenouilleau, qui est un historien sérieux, et dont les propos dans le journal ne sont pas aussi meurtriers que la façon dont certains l'ont interprétés.
C'est donc tout à l'honneur des historiens modernistes que de protester en ce sens auprès du tribunal. Ceci dit, nous serions bien bas en France si le tribunal ne classait pas sans suite cette affaire ridicule ?

Les « spécialistes » de la colonisation et de l'histoire de la traite sont en France divisés, mais dans l'ensemble ne participent pas à une pétition générale qu'ils estiment ne pas poser le problème de façon informée, car les choses se succèdent très vite chez les spécialistes où il s'agit plutôt de tables rondes, d'articles de fond, dans un cadre de très grande susceptibilité des partenaires (aussi bien des descendants d'esclaves que de colonisés), si bien qu'on s'engage dans une querelle franco-française hexagonale sans bien en sentir tous les affects, qui sont énormes. Nous sommes dans l'histoire immédiate autant que dans l'histoire des traites, et les incompréhensions se multiplient si on se lance dans pétitions et contre pétitions sans bien en mesurer tous les enjeux. C'est un dialogue de sourds qu'il faudrait éviter.
Quant à Olivier Pétré Grenouilleau, c'est un érudit, qui connaît bien la littérature anglo-saxonne qu'il a étudiée dans son livre. Celui-ci est une somme remarquable, dont on trouve des critiques intelligentes et mesurées, mais sérieuses, sur Internet, notamment par Pap Ndiaye (MC EHESS, spécialiste d'histoire noire-américaine, pourtant peu gâté, lui aussi, sur le Web!) et Marcel Dorigny (MC à Paris 8, spécialiste de l'histoire des Caraïbes) - c'est à dire deux historiens parmi les mieux à même d'évaluer cet ouvrage en France. Globalement je suis d'accord avec eux, et ils sont mesurés tout en étant parfois sévères.
Sévères parce que, tout en étant un bon historien, Pétré-Grenouilleau a des réflexes, disons, « hexagonaux » et cela pointe parfois. Cela n'a bien entendu rien de condamnable, on a le droit d'être historien indépendamment de ses opinions quelles qu'elles soient (sauf négationnistes) et son livre n'est attaquable que dans des discussions entre spécialistes.

Mais la confusion entretenue réside ailleurs ; ce n'est pas sur son livre, inattaquable autrement que par ses pairs, qu'il est attaqué en justice (contrairement à ce que même un directeur du CNRS, philosophe de surcroît, a récemment affirmé dans une pleine page de « Rebonds » de Libération) : la plainte porte explicitement sur ses propos publiés dans le Journal du Dimanche. [cf. texte intégral ci-dessous], qui est plus maladroit qu'erroné, contrairement aux commentaires qui en ont été fait en l'écourtant : que les traites négrières soient de nature différente, parce que la Shoah était faite pour tuer les gens, et la traite pour les faire travailler, c'est vrai en théorie, mais discutable dans la pratique, non seulement parce que les camps d'extermination nazis étaient aussi des camps de travail, mais précisément parce qu'il y a un lien entre la très grande mortalité des noirs au 18è siècle (jusqu'à 20% par an) et l'activité du commerce des esclaves (à différencier de l'esclavage qui était un statut) : les négriers étaient probablement fort satisfaits d'avoir constamment à renouveler le stock d'esclaves sur un marché très demandeurŠ La mortalité des esclaves a énormément baissé aux USA début XIXe siècle, pour des raisons complexes : progrès de l'hygiène sinon de la médecine, interdiction de la traite (1807) donc nécessité de protéger le « cheptel » (causes ou conséquences, ou les deux à la fois?), baisse de rentabilité du commerce de contrebande de plus en plus aléatoireŠ L'attitude « froide » de OPG a donc rendu furieux des Antillais, et a entraîné sur le Web un déluge d'insultes de la part de gens dont la plupart ne sont pas historiens, et tout s'est envenimé. Il faut aussi se souvenir que colonisation et esclavage sont unis dans la mémoire des Antillais, tandis qu'en Afrique ou en Indochine la colonisation a commencé quand la traite s'arrêtaitŠ

À ce propos, je voudrais souligner un manque de compréhension de l'autre qui m'a frappée dans le texte de Henry Rousso paru dans le Monde, dont les historiens dans l'ensemble le félicitent. En qualité d'historienne de l'"autre", je le trouve pour le moins discourtois, de façon involontaire car inconsciente : parler de l'esclavage comme d'un "passé qui nous est aussi étranger" car "d'il y a quatre siècles", tandis que la Shoah demeurerait le seul, en somme donc valable "souvenirŠ érigé en symbole universel de la lutte contre toutes les formes de racisme", c'est privilégier sans même s'en rendre compte la « communauté blanche » (tout aussi "communautariste" que les autres : être majoritaire n'est pas synonyme d'universalité ? ) : aux Antilles, départements français, il reste encore des gens dont les arrières grands parents (voire, dans de rares cas, les grands-parents) étaient nés esclaves dans le royaume de France. Cela ne leur est pas étranger - et cela n'est pas étranger non plus à Françoise Chandernagor puisqu'elle en parle encoreŠ Comme le remarque OPG, on choisit effectivement l'ancêtre que l'on préfère, mais ceci, en revanche, est universel, chacun se fabrique son petit mélange identitaire personnel. La mémoire de l'esclavage demeure écorchée, et à chacun son symbole, et en qualité de citoyens français, respectons à ce titre les symboles des uns et des autres ; ce qui n'interdit en rien par ailleurs de juger que, de quelque côté que ce soit, ces symboles sont parfois utilisés à tort et à traversŠ Pour moi, ancienne "enfant cachée", j'assume les deux symboles, et je ne les mets pas en concurrence en en préférant un plutôt que l'autre, ce qui dénoterait le mépris de la souffrance des autres : à chacun sa souffrance, mais toutes les souffrances sont des souffrances, et il n'y a pas d'échelle de Richter comme l'a écrit OPG lui-même dans l'interview incriminée, même si en revanche le paragraphe précédent est bien maladroit dans son énoncéŠ
Les historiens (assez indifférents dans l'ensemble à l'histoire des autres en général, et même des nôtres pour l'histoire spécifique des Caraïbes dont les spécialistes sont rares en France métropolitaine) sont sensibles au déluge d'insultes sur le Web (mais internet n'est pas une source pour les historiens, et il faudrait supprimer internet si on veut en supprimer les horreurs!), ils ne sont guère sensibles au contexte, dans lequel il faut s'avancer avec intelligence et délicatesse de façon à tenir compte de tout, y compris du contexte des débats sur la colonisation et le fameux article 4 de la loi de février 2005 intimant aux enseignants ce qu'ils devraient enseigner à l'école sur les « bienfaits de la colonisation ».

Sur ce point, j'ai aussi trouvé que les « 19 » historiens signataires brouillaient les pistes en mettant tout dans le même plat, du négationnisme à ce que l'historien doit enseigner à l'école (cette dernière intrusion étant intolérable). J'ai néanmoins trouvé l'article dans le Monde par Mme Chandernagor convaincant dans sa mesure. Des lois sur les crimes contre l'humanité ne me choquent pas (en qualité d'historien, ce n'est pas notre rôle spécifique de décider ce qui est ou non crime contre l'humanité), ce n'est peut-être pas non plus celui du Parlement, mais pas plus le nôtre, à nous historiens, sinon en qualité de citoyens comme les autres : ce que nous avons à faire en historien c'est apporter les faits, les preuves ou les dénégations aux instances (généralement internationales) décidant au vu de ces démonstrations ce qui peut ou ne pas être crime contre l'humanité. En revanche, comme le remarque Chandernagor, faire intervenir dans la loi l'honneur des descendants (et non plus seulement celui des acteurs et victimes eux-mêmes) est une erreur, qui s'explique par le contexte politique, par le déni dont effectivement les Français noirs estiment avoir souffert.
Tout cela est bien compliqué. Je pense que c'est la raison pour laquelle les spécialistes sont rétifs à partir en guerre ouverte, et qu'il ne faut pas non plus être tout feu tout flamme dès que l'on songe à étendre les crimes contre l'humanité au-delà de la Shoah qui fut probablement le pire, mais quand même pas le seul (étant d'origine juive moi-même, je ne peux être taxée d'antisémitisme en écrivant cela!).
Voilà, en tous les cas, mon avis.
Si vous en désirez davantage, je suis à votre disposition pour vous suggérer des références!
À ce propos, je vous signale, à toutes fins utiles, que vient de paraître un numéro spécial double des _Cahiers d'Études africaines_ (EHESS, no 179-180, 2005), intitulé "Esclavage moderne, ou modernité de l'esclavage ?". Un article est particulièrement fourni et répond en grande partie aux question posées, celui de la politologue Françoise Vergès, intitulé : « Les troubles de la mémoire. Traite négrière, esclavage et écriture de l'histoire », pp. 1143-1178. Ceux qui ne sont informés que par la presse ou le courrier internet y trouveront des précisions utiles pour la compréhension de la question.
Je pense aussi que la lettre explicative signée de Jean-Luc Bonniol, anthropologue, université de Provence ; Marcel Dorigny, historien, université de Paris VIII ; Dany Ducosson, pédopsychiatre ; Jacky Dahomay, philosophe, membre du Haut Conseil à l'Intégration ; Thierry Le Bars, juriste, université de Caen ; Caroline Oudin-Bastide, historienne et sociologue ; Frédéric Régent, historien, université Antilles-Guyane ; Jean-Marc Regnault, historien, université de la Polynésie française ; Alain Renaut, philosophe, université de Paris IV, est aussi claire que mesurée :
Enfin, quelques spécialistes interdisciplinaires prennent la parole, une parole originellement informée scientifiquementŠ

PS. Documents annexes d'information

1) de la fameuse interview au Journal du dimanche

ARTICLE PARU DANS LE JOURNAL DU DIMANCHE
> n°3049, dimanche 12 juin 2005 (France)
>
> Un prix pour Les traites négrières
>
> Interview
> Christian Sauvage
>
> LE JURY du prix du livre d'histoire du Sénat a été bien inspiré de
> couronner Les traites négrières d'Olivier Pétré-Grenouilleau. Un livre
> d'histoire, savant et abordable, mais aussi un livre débat au moment
> où certains lancent des appels aux "peuples indigènes". Une belle
> conclusion ausi des Rendez-vous citoyens histoire du Sénat, auxquels
> s'est asocié le JDD, qui ont connu, hier, un grand succès. Olivier
> Pétré-Grenouilleau, 43 ans, est professeur d'histoire à l'université de
> Lorient. Voilà dix-sept ans qu'il se consacre aux problèmes de la
> traite négrière.
>
> Pourquoi ce pluriel, Les traites négrières ?
>
> L'objectif de ce livre était de faire une histoire globale d'un
> phénomène qui s'est étendu sur treize siècles et sur cinq continents.
> C'est un sujet tellement vaste qu'en général les chercheurs se
> spécialisent sur un aspect ou un autre. Je voulais resituer cette
> histoire dans la durée et dans ses différents aspects. Il y a eu de
> l'esclavage dés l'antiquité, mais la traite, c'est à dire le commerce
> des esclaves, n'est apparue qu'au VIIe siècle, vers 650.
>
> C'est l'empire musulman qui a commencé la traite. Pour une raison
> simple: les musulmans n'ont pas le droit d'avoir des esclaves
> musulmans. Ils se sont donc tournés vers l'Europe et vers l'Afrique
> noire pour acheter ces esclaves. La traite négrière s'est achevée vers
> 1920.
>
> Comment en est-on sorti ?
>
> Par le combat des abolitionnistes, essentiellement des philanthropes
> blancs, protestants. Cette première explication paraissait trop simple.
> On a alors évoqué des raisons économiques. L'Angleterre de la
> révolution industrielle n'avait plus besoin d'esclaves. Mais, du fait
> du blocus, ils étaient encore utiles, d'autant plus que le système
> esclavagiste de la fin du XVIIIe siècle était très rentable. On a
> ensuite évoqué des raisons religieuses. Il y a eu en Angleterre des
> pétitions très nombreuses contre l'esclavage, à l'initiative de
> pasteurs. Des raisons politiques ont été ensuite avancées. On a dit:
> c'est un moyen de détourner l'attention de la classe ouvrière de ses
> problèmes. En fait, l'abolition est née d'un peu toutes ces raisons et
> de la résistance des esclaves eux mêmes.
>
> Les premiers à pratiquer la traite étaient les Africains ?
>
> Je crois qu'il faut se débarrasser des clichés même s'ils sont
> rassurants. On sait que l'Afrique noire a été victime et acteur de la
> traite. Les historiens, quelles que soient leurs convictions
> politiques, sont d'accord là dessus.
>
> Votre livre paraît éclairant dans le débat actuel sur "les peuples
> indigènes" et l'antisémitisme véhiculé par Dieudonné.
>
> Cette accusation contre les juifs est née dans la communauté noire
> américaine des années 1970. Elle rebondit aujourd'hui en France. Cela
> dépasse le cas Dieudonné. C'est aussi le problème de la loi Taubira qui
> considère la traite des Noirs par les Européens comme un "crime contre
> l'humanité", incluant de ce fait une comparaison avec la Shoah. Les
> traites négrières ne sont pas des génocides.
>
> La traite n'avait pas pour but d'exterminer un peuple. L'esclave était
> un bien qui avait une valeur marchande qu'on voulait faire travailler
> le plus possible. Le génocide juif et la traite négrière sont des
> processus différents. Il n'y a pas d'échelle de Richter des souffrances.
>
> Beaucoup d'artistes, d'intellectuels d'origine africaine se disent
> "descendants d'esclaves".
>
> Cela renvoie à un choix identitaire, pas à la réalité. Les Antillais,
> par exemple, ont été libérés en 1848. Mais si l'on remonte en amont,
> vers l'Afrique, on peut aussi dire que les ancêtres de leurs ancêtres
> ont été soit des hommes libres, soit des esclaves, soit des négriers.
> se présenter comme descendant d'esclaves, c'est choisir parmi ses
> ancêtres. C'est aussi créer une immédiateté entre le passé et le
> présent. Descendant d'esclaves est une expression à manier avec prudence.
>
>

2) de la pétition à laquelle je fais allusion à la fin de mon texte

> Pour un débat démocratique sur la traite et l'esclavage
>
> Dans une interview accordée au Journal du Dimanche le 12 juin 2005, Olivier Pétré-Grenouilleau _ professeur d'histoire moderne et contemporaine à l'université de Lorient et auteur d'un ouvrage intitulé Les traites négrières (nrf, Gallimard, 2004), répondant à une question concernant l'antisémitisme de Dieudonné, a tenu des propos qui ont suscité un vif émoi parmi les Antillo-Guyanais : " Cette accusation contre les juifs, a-t-il déclaré, est née dans la communauté noire américaine des années 1970. Elle rebondit aujourd'hui en France. Cela dépasse le cas Dieudonné. C'est aussi le problème de la loi Taubira qui considère la traite des Noirs par les Européens comme un "crime contre l'humanité", incluant de ce fait une comparaison avec la Shoah. Les traites négrières ne sont pas des génocides.
« Le génocide juif et la traite négrière sont des processus différents.
> Il n'y a pas d'échelle de Richter des souffrances ».
> Déclaration fondée sur une approche manifestement erronée de la notion de " crime contre l'humanité " : " Assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions des motifs raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été , ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal " constituent les diverses formes du " crime contre l'humanité " distinguées par le tribunal de Nuremberg en 1945. " Le crime contre l'humanité, précise le procureur P. Truche dans la revue Esprit (no 181, 1992) est la négation de l'humanité contre des membres d'un groupe en application d'une doctrine. Ce n'est pas un crime commis d'homme à homme, mais la mise à exécution d'un plan concerté pour écarter des hommes de la communauté des hommes. " Qualifier la traite et l'esclavage de " crime contre l'humanité " est donc _ au vu de ces textes de référence indéniablement justifié sur le plan juridique, cette commune dénomination n'empêchant d'ailleurs en rien de penser la différence de ces phénomènes avec l'extermination des juifs et des tsiganes, comme d'ailleurs avec le massacre des Tutsis par les Hutus ou des Arméniens par les Turcs.
Cette remise en cause de la qualification de la traite et de l'esclavage comme " crime contre l'humanité ", loin de favoriser une meilleure compréhension de la spécificité de ces phénomènes, ne peut qu'alimenter la malsaine concurrence des victimes qui va se développant depuis plusieurs semaines. La loi Taubira-Delanon s'inscrit dans un processus de reconnaissance d'un système dont les effets délétères marquent encore aujourd'hui tant les régions d'outre-mer que la société métropolitaine, processus nécessaire, nous semble-t-il, à la constitution du lien social en France métropolitaine et dans les DOM. La contester en ces termes a pour triste effet d'attiser les souffrances et ressentiments, d'alimenter un conflit sordide.
Il ne s'agit évidemment pas ici de rallier le combat de ceux qui, instrumentalisant ces souffrances et ressentiments, s'efforcent, notamment par le canal d'internet, d'interdire tout débat autour du dernier ouvrage d'O. Pétré-Grenouilleau. Une stratégie de réduction au silence du présumé ennemi est en effet mise en place. Elle fait appel aux habituels expédients du genre : désinformation (on affirme que l'étude s'appuie " essentiellement sur quelques archives privées des familles négrières que l'auteur défend et sur des travaux anglo-saxons ", alors qu'elle s'efforce d'effectuer la mise en perspective d'une très grande quantité de travaux) ; déconsidération de l'ennemi auquel on prodigue les injures les plus infamantes (racisme, apologie du crime contre l'humanité, révisionnisme etc.), tactique d'isolement par l'intimidation d'éventuels alliés (stigmatisation des " béni-oui-oui mélanodermes ", Africains ou Antillais, assimilés aux " vendus " qui ont accepté de capturer ou fouetter leurs congénères).
Une telle stratégie relève du mépris pour le lecteur, manifestement jugé incapable de penser par lui-même. Les écrits historiques doivent faire l'objet de débats qui peuvent porter sur la fiabilité des données, sur le choix des faits retenus ou sur leur analyse. On peut certes légitimement s'interroger sur les éventuels présupposés d'une thèse ou s'alarmer de la façon dont elle peut être utilisée sur le plan politique, la façon dont A.Finkielkraut s'est saisi de l'ouvrage d'O. Pétré-Grenouilleau pour relativiser la traite atlantique est évidemment inquiétante, mais il est inacceptable d'interdire tout débat par la mise au pilori d'un ouvrage et de son auteur.
Que signifie, dans un tel contexte, l'appel aux tribunaux dont on menace O. Pétré-Grenouilleau ? Attend-on de la justice qu'elle dise la vérité historique ? On aboutirait nécessairement, si l'on y parvenait, les tristes précédents ne manquent pas à cet égard, à la mise en place d'une histoire officielle, dogmatique, politiquement correcte mais placée hors du champ de toute réelle recherche scientifique. La loi Taubira-Delanon prévoit, dans son article 2, de donner à la traite négrière et à l'esclavage " la place qu'ils méritent " dans les programmes scolaires et les programmes de recherche. Ne méritent-ils pas en effet un large débat, > documenté et démocratique, fondé sur la prise en compte des arguments de chacun mais également sur le respect d'une certaine souffrance des populations > issues des sociétés esclavagistes ?
>
Jean-Luc Bonniol, anthropologue, université de Provence ; Marcel Dorigny, historien, université de Paris VIII ; Dany Ducosson, pédopsychiatre ; Jacky Dahomay, philosophe, membre du Haut Conseil à l'Intégration ; Thierry Le Bars, juriste, université de Caen ; Caroline Oudin-Bastide, historienne et sociologue ; Frédéric Régent, historien, université Antilles-Guyane ; Jean-Marc Regnault, historien, université de la Polynésie française ; Alain Renaut, philosophe, université de Paris IV.
>

3) A signaler : une chronologie intéressante des événements relatifs à l'affaire : http://www.clionautes.org/article.php3?id_article=925

4) Enfin, il est intéressant de savoir que si les modernistes se sentent très concernés par la question, les contemporanéistes sont, comme je le pressentais, divisés, et que les quatre associations se sont mises d'accord en conséquence sur un texte minimal qui paraît, en tout état de cause, clair et suffisant (même si le texte plus long des modernistes non spécialistes est grosso modo acceptable). À remarquer néanmoins que le texte accepté par les contemporanéistes se prononce sur les travaux d'OPG (ce qui va de soi), alors que la plainte concerne juridiquement l'interviewŠ : c'est bien la preuve que ce débat supposé d'histoire moderne est en fait aussi un débat d'histoire immédiate (vécue et qui reste à écrire!)

- Motion commune

Les quatre associations d'historiens des universités françaises
représentées par leurs présidents :
- la Société des Professeurs d'histoire ancienne des universités
- la Société des historiens médiévistes de l'enseignement public
français
- l'Association des historiens modernistes des universités françaises
- l'Association des historiens contemporanéistes de l'enseignement
supérieur et de la recherche
Qui regroupent une grande partie des historiens des universités et des
autres établissements d'enseignement supérieur et organismes de
recherche, se déclarent solidaires de leur collègue Olivier Pétré
Grenouilleau, professeur d'histoire moderne à l'université de Bretagne
Sud. Elles peuvent attester que, dans ses publications, il a respecté
les règles habituelles de la déontologie du métier d'historien. Par
ailleurs, ses qualités scientifiques ont été reconnues par
l'attribution de 3 prix décernés en 2005 :
- un prix du Sénat
- un prix de l'Académie Française
- un prix Chateaubriand
Elles tiennent à déclarer que les travaux du Professeur
Pétré-Grenouilleau ne sauraient se discuter au tribunal ; qu'il est
certes loisible de diverger d'opinion à leur propos mais seulement dans
le cadre d'un débat scientifiquement argumenté. Si Monsieur Pétré-
Grenouilleau venait à être condamné, c'est la méthode même de la
recherche historique qui serait condamnée.
Elles autorisent la production de cette attestation dans le cadre de
l'action en justice opposant Mr Olivier Pétré-Grenouilleau au Collectif
Antillais, Guyanais, Réunionnais. Nous avons connaissance qu'une fausse
déclaration peut nous exposer à des sanctions pénales.

- Texte des Modernistes:

L'association des historiens modernistes des universités françaises
> (AHMUF) qui regroupe la quasi totalité des historiens de la période
> appelée <moderne> sur le plan académique (XVI°-XVII°-XVIII°siècles) se
> déclare solidaire de Mr Olivier Pétré Grenouilleau dont les travaux de
> recherche sont mis en cause par une association devant la justice.
> Spécialistes en matière d'enseignement et de recherche de cette même
> période de l'histoire que Mr Olivier Pétré Grenouilleau, ils tiennent
> à dire que leur collègue, dont, pour la plupart, ils ont lu les
> travaux, ne conteste pas que l'esclavage soit un crime contre
> l'humanité et qu'il n'encourage ni les discriminations ni la haine
> raciale. De plus, il a toujours respecté les règles de déontologie du
> métier d'historien et jouit d'une grande considération parmi ses
> pairs.
> Agrégé(1988) et Docteur en histoire (1994), Habilité à diriger des
> recherches(1997), il a suivi la carrière d'un enseignant-chercheur en
> devenant Maître de conférence en 1995 puis professeur en 2004. En
> outre, la qualité de ses travaux est telle qu'il a été détaché à l'IUF
> (Institut Universitaire de France) de 1999 à 2004 et qu'il a été
> récompensé en 2005 par trois prix prestigieux dont les jurys sont
> composés en majorité d'historiens.
> Les historiens modernistes, au vu du sérieux unanimement reconnu de
> ses travaux de recherche et des ses publications, se demande pourquoi
> une association s'est portée partie civile contre un de leurs
> collègues en contestant des conclusions qui sont largement admises :
> - la traite négrière ne se limite pas à la traite occidentale et dure
> depuis 13 siècles
> - l'existence de formes d'antisémitisme dans la communauté noire des
> USA à partir des années 1970
> - des Africains noirs ont été des acteurs de la traite négrière
> - l'affirmation que la traite est un crime contre l'humanité et non
> un génocide
> - se considérer comme descendant d'esclave relève d'un choix et non
> uniquement d'un fait.
> Ils estiment qu'il existe toujours des divergences d'interprétation à
> propos de faits ou d'événements mais que les découvertes des
> historiens sont discutées très librement dans les séminaires de
> recherche, des colloques, des journées d'études et que toutes les
> idées peuvent être remises en cause par la publication de livres ou
> d'articles.
> En effet, un travail de recherche ne saurait se contenter
> d'affirmations simplificatrices, irrationnelles, passionnelles ou
> caricaturales pour analyser des situations historiques qui sont, par
> nature, complexes. Il se nourrit des archives, de l'archéologie, de
> l'iconographie, de témoignages les plus divers, écrits et oraux, de
> l'exercice de l'esprit critique et des remises en cause des acquis par
> des recherches postérieures. De la confrontation des sources et des
> points de vue, de la recherche continuelle du sens de l'enchaînement
> des faits et des événements, naît une vérité historique qui peut être
> définitive ou provisoire, car elle peut être remise en cause par des
> découvertes scientifiques nouvelles.
> Alors que des discussions peuvent être menées librement à propos de
> toutes les questions historiques, ils acceptent très mal qu'une
> association veuille porter le débat historique devant les tribunaux,
> dont la fonction n'était pas jusqu'ici d'arbitrer les différends
> historiques. Des institutions universitaires existent pour évaluer le
> travail des chercheurs : Le CNU (Comité National des Universités),
> pour les personnes, le Comité National du CNRS pour les laboratoires
> et dans le cas précis d'Olivier Pétré-Grenouilleau, l'Institut
> Universitaire de France. Ces institutions, dont l'expérience
> d'expertise scientifique est reconnue, ont accordé leur confiance à
> Olivier Pétré Grenouilleau.
> L'association des historiens modernistes refuse qu'on impose aux
> historiens une vision unilatérale de l'histoire qui ne correspond pas
> à la réalité historique. Elle considère que le fait d'engager des
> poursuites contre un historien irréprochable au regard de la loi et de
> la déontologie, constitue une entrave à la fonction critique, à la
> liberté de recherche, d'enseignement et de publication des historiens.
> En soutenant le Professeur Olivier Pétré- Grenouilleau, l'AHMUF,
> entend réaffirmer son attachement indéfectible à l'indépendance
> intellectuelle des universitaires, sans laquelle aucun travail de
> recherche historique sérieux ne peut se faire.