A WEBSITE ABOUT FRENCH ARTISTS
L'AVIS DES ARTISTES

vocabulaire utile:

  • engagement, m. - commitment, obligation
  • lien, m. - link, connection
  • hanter - to haunt
  • fait, m. - act, deed
  • brut - unrefined, new
  • gratuit - gratuitous, free of charge
  • exigence, f. - unreasonable or abritrary demand
  • raison, f. - reason
  • certes - indeed
  • demeurer - to remain
  • reprendre - to take up again, resume
  • étendue, f. - extent, expanse
  • piller - to pillage
  • se livrer à - indulge in
  • caprice, f. - whim, fantasy
  • disposer (de) - to have at one’s disposal, available
  • pouvoir, m. - power
  • vertige, m. - vertigo
  • améliorer - to improve
  • loi, f. - law
  • bouleversé - upset, unsettled
  • se venger - to avenge (onself)
  • déception, f. - disappointment
  • regner - to reign
  • déployer - to unfurl, to use, to deploy
  • mépris, m. - scorn
  • défaire - to undo, unfasten
  • renier - to deny, disavow
  • sursaut, m. - involuntary start, jump
  • servilité, f. - servility, constraint
  • amener - to take (somewhere, somewhere)
  • entraîner - to provoke, to lead to
  • déchainer - to unleash, to let loose
  • conjuration f. - conspiracy
  • prétendre - to claim
  • entourer - to surround

vocabulaire: conclusion

  • apport, m. - contribution
  • impérieux, se – (1) imperious, (2) urgent, pressing
  • arrière-plan, m. – background, backdrop
  • charnel – carnal, of the flesh
  • valable – worthy, worthwhile
  • d’une part – on one hand
  • saisissant – gripping (lit. & fig.)
  • figé – static, fixed
  • rajeunissement, m. - rejuvenation
  • tentative, f. - attempt
  • tâche, f. - task
  • écueil, m. - pitfall
  • épaisseur, f. – thickness, depth
  • fécond - fertile
  • patricien, m. – member of the upper class
  • exaspéré – exasperated; exacerbated
  • avilir – vilify
  • par-delà - beyond

Simone de Beauvoir sur le théâtre moderne : Jean-Paul Sartre et Camus

Camus : Caligula

Conclusions sur le théâtre moderne

Camus : Caligula. Commentaire et extrait
Commentaire : Caligula

(voir Introduction dans Simone de Beauvoir 1).

Albert Camus a été, comme vous le savez sans doute, une des grandes révélations de la littérature française de ces dernières années. Il s’est fait connaître d’abord par un roman l’Etranger, et ensuite on a donné de lui, à Paris, deux pièces, Le Malentendu et Caligula. Un des thèmes qui hantent la pensée de Camus, c’est le thème de l’absurde. Il y apparaît que l’existence en générale, l’existence humaine en particulier, tant qu’on a pas trouvé à se justifier à la manière dont précisement un Oreste a trouvé à justifier sa vie, mérite d’être appelé absurde. Il y a là un fait brut, il y a quelquechose de gratuit qui ne satisfait pas les exigences de la raison ni non plus de la morale. Et certes, pour Camus, il y a possibilité d’échapper à cette absurdité précisement à la manière dont Sartre le pense aussi, par un engagement, par une application de la liberté, à des tâches. Mais, tant que la liberté demeure quelquechose de vide, tant que l’existence n’a pas trouvé à établir son lien avec le monde et avec l’action, c’est quelquechose d’injustifié comme une pierre, comme n’importe quelle espèce d’objet naturel qui est là simplement sans avoir vraiment de raison d’être. C’est ce thème qu’il a traité dans son roman, c’est ce thème qu’il reprend d’une manière très saisissante dans la plus intéressante, je crois, de ces deux pièces, à savoir, Caligula. Il imagine qu’un jeune homme, et, il a pris, ici, lui aussi, un mythe, les mythes de cet empereur, Caligula, qui a fait regner la terreur dans l’empire romain pendant quelque temps. Il imagine qu’un jeune comme qu’il appelle donc Caligula est doué par la fortune d’un immense pouvoir, c’est à dire que sa liberté d’action, au sens abstrait du mot, a une étendue presque sans limites. Il peut donner des ordres, et on obéira, il peut tuer et personne ne se révoltera contre lui. Il peut piller, il peut se livrer à touts ses caprices. Et, d’autre part, il ne trouve en lui-même ni autour de lui aucune exigence d’aucune espèce d’action à faire, et il n’a aucunement le sens d’une solidarité humaine d’une morale quelconque qui pourrait l’aider à employer le pouvoir dont il dispose. Il a donc un pouvoir sans aucune espèce de raison, on pourrait dire sans aucun point d’application. Ce pouvoir et l’idée de l’absurdité de toute action lui donnent une espèce de vertige, et c’est cela que Camus a voulu illustrer -- l’extrème limite d’absurdité à laquelle pouvait arriver une liberté qui ne connaissait pas d’emploi d’elle-même. Caligula est hanté, comme l’auteur de la pièce, par le sentiment de l’absurdité. Il lui semble que ce monde n’est pas un monde possible, n’est pas un monde dans lequel la vie ait une signification, et justement parce qu’il est irrité contre ce monde, il va essayer non pas de l’améliorer, mais, par une espèce d’exaspération de jeunesse, de révolte, de le rendre encore plus horrible et de faire de l’absurdité une sorte de loi. Camus, lui aussi, cherche à donner des motivations psychologiques à une telle décision. Au début de la pièce nous voyons Caligula qui vient de perdre une femme qu’il aimait beaucoup, qui est assez bouleversé par cette mort, et qui s’est échappé du palais sans qu’on sache qu’est-ce qu’il est devenu. Nous apprenons après que ce qu’il cherchait c’était la lune, c’est-à-dire qu’il cherchait l’impossible. Il n’a pas trouvé, et, pour se venger de cette espèce de déception, il va, alors, décider de faire regner non seulement une terreur dans le monde, mais une étrange et particulière terreur qui sera la terreur de l’arbitraire et du caprice. Et pendant le début de la pièce, nous le voyons déployer cette volonté de caprice sans rencontrer de véritable résistance autour de lui parce que les hommes qu’il traîte avec mépris ne sont pas capables de défaire, de renier ce mépris par une attitude qui serait quelquechose de vraiment honnête et moral, sauf un seul d’entre eux, que d’ailleurs Caligula estime et qui est le jeune Scipion. Tous les autres sont dans une période de décadence morale, intellectuelle, générale, pourrait-on dire, qui ne leur permet pas d’avoir un sursaut de dignité qui peut-être amenerait Caligula à d’autres sentiments. Si bien que la servilité même de ceux qui l’entourent l’entraine à de nouveaux crimes, à de nouveaux caprices, jusqu’à ce qu’à la fin, par une nécessité malgré tout qu’on pourrait presque dire dialectique, et bien, ces forces qu’il déchaine se retournent contre lui et de ce que alors il soit assassiné par une conjuration. Et il meurt en comprenant que, comme il le dit exactement, sa liberté n’était pas la bonne, c’est-à-dire que cette liberté était purement vide dont il a usé et abusé n’était pas en effet la véritable manière de résoudre de grands problèmes de la vie. Ce problème n’est pas résolu dans la pièce, Camus ne prétend pas le résoudre. Il prétend simplement le décrire, le poser pour ainsi dire, et en montrer une des solutions, fausse mais intéressante, par le fait même de son exaspération par le fait qu’elle va jusqu’à certaines limites.

Vous allez entendre certaines des scènes les plus importantes du premier acte, lorsque Caligula revient au palais après qu’on l’ait cherché pendant des jours et des jours, et, quand il commence à prendre la résolution de faire régner autour de lui la terreur de l’arbitraire et de l’absurdité.


QUESTIONS DE COMPRÉHENSION ET DE RÉFLEXION
  1. Qu’est-ce que Camus appelle l’absurde? Comment y échapper?
  2. Comment Camus choisit-il de montrer l’extrème limite de l’absurdité?
  3. Qu’est-ce qui pousse Caligula à faire de l’abusrdité une sorte de loi?
  4. Pourquoi fait-il le choix de faire régner la terreur?
  5. Qu’est-ce que Caligula comprend quand il meurt?
  6. Que pensez-vous de l’idée que sans justification la vie est absurde?
  7. A votre avis, qu’est-ce qui serait une justification? Serait-ce la même chose pour tout individu?
  8. Faut-il se justifier dans notre société? Pourquoi ou pourquoi pas? Est-ce une bonne chose?
  9. L’artiste, doit-il assumer un rôle politique ou morale? Quel est son rôle dans la société?
Conclusion
L’apport du théâtre existentialiste -
de nouveaux conflits, une nouvelle vision

Je pense que vous pouvez saisir, à travers ces résumés et à travers ces textes, une orientation toute neuve du théâtre français, qui est, d’ailleurs, paralléle à celle que nous rencontrerons dans la littérature. Pendant trés longtemps, le théâtre a surtout cherché en France à décrire soit la société telle qu’elle était, c’est ce qu’on appelait le théâtre de mœurs, soit des caractéres tels également qu’on pensait qu’ils étaient d’une maniére assez définitive, ce qu’on appelait le théâtre psychologique, et c’était essentiellement ces descriptions sociales, ou ces espéces d’analyse psychologique qui apparaissaient comme la substance du théâtre et comme le ressort des drames que l’on présentait aux spectateurs. Nos dramaturges aujourd’hui ont une autre conception de ce que c’est qu’une piéce parce qu’ils ont aussi une autre conception de l’homme et de ses rapports au monde. Vous avez vu que dans les piéces de Sartre et de Camus la premiére dimension de l’homme c’est sa liberté, cette liberté qui n’arrive à se donner un contenu et à se sauver que si elle s’engage dans le monde par l’action. Mais, précisément, le fait d’user ou de ne pas user de sa liberté, c’est une alternative extrêmement dramatique, et, c’est cette alternative que nos dramaturges vont plus particuliérement mettre en scéne et incarner dans des histoires trés concrétes, trés humaines, qui peuvent parler à l’imagination, qui peuvent parler aux sentiments, mais qui ont des implications métaphysiques et morales trés importantes. Autrement dit, au lieu de s’intéresser autant qu’autrefois à des descriptions d’un ordre plutôt sociologique ou psychologique, on va s’intéresser aujourd’hui surtout à des conflits moraux. Mais, le mot de conflit même nous indique que la morale va fournir au théâtre une base extrêmement intéressante puisque le théâtre a toujours essayé d’être, avant tout, la présentation de volontés humaines s’opposant les unes aux autres, de passions s’opposant à la morale, autrement dit, de conflit. Et, il en résulte une autre conséquence, c’est que, beaucoup plus que le caractére humain même, on va penser que c’est la situation dans laquelle se trouve un homme qui le définit. Au lieu d’être du théâtre psychologique, le théâtre d’aujourd’hui sera essentiellement un théâtre de situation. Les exemples que j’ai donnés peuvent aider à illustrer cette affirmation. Quand Oreste arrive à Argos, ce n’est pas un jeune homme ayant tel ou tel espéce de caractére. On ne nous dit pas qu’il est ou généreux ou avare ou courageux, ou lâche, ou paresseux ou travailleur. Ce qu’on nous dit c’est que c’est un jeune homme qui a toujours été libre d’une liberté vide, qui souffre de l’angoisse de cette liberté. Il est dans une certaine situation, et c’est le choix qu’il va faire, de lui-même, dans cette situation, qui va, au contraire, définir son caractére. Ceci repose sur une des idées fondamentales de l’existentialisme, à savoir, que l’homme n’est pas donné, une fois pour toutes, que les qualités qu’on peut lui attribuer, d’être, précisément, avare, généreux ou lâche ou courageux, ne sont pas des qualités analogues au fait d’avoir des cheveux blonds ou noirs, mais ce sont le résultat de certains choix. Il se choisit, et il se trouve être ensuite tel qu’il se choisit. Rien n’est donné à l’avance à Oreste, à Caligula, par exemple. Ils ont simplement une conscience de la situation dans laquelle ils se trouvent, mais à cette situation ils peuvent réagir d’un tas de maniéres trés diverses, et, d’aprés leurs réactions, ils se définiront alors comme héroïque, par exemple dans le cas d’Oreste, ou comme, au contraire, cruel, dément, méchant, dans le cas d’un Caligula. La définition d’eux-mêmes suit leurs choix, ne le précéde pas.

Naturellement, dans cet effort, pour décrire les situations les plus intéressantes, pour mettre en scéne des hommes qui se trouvent dans ces situations, et qui y réagissent, il ne faut pas perdre le souci de la vérité sociale, ni de la vérité psychologique. Aussi bien, ces piéces vont-elle avoir cette complexité ? Par exemple, comme je vous l’ai indiqué, si Oreste se décide au crime, ce n’est pas pour de simples raisons abstraites, mais c’est aussi à cause de l’affection qu’il porte à Eléctre. C’est-à-dire que le choix moral va se couler chez lui dans des circonstances psychologiques, et, que, en même temps, que il décide, et sait qui sera, il céde à des motivations trés impérieuses, comme la tendresse, la pitié qu’il a pour sa sœur. De même, Caligula, il n’est pas du tout sans importance qu’il découvre l’absurdité du monde aprés la mort d’une femme qu’il aimait. Mais, ces vérités psychologiques passent au second plan et elles donnent un arriére-plan concret, charnel, pourrait-on dire, aux personnages qui sont mis en scéne, elles ne constituent pas le véritable fond du drame.

Le fond du drame dans cette piéce et dans d’autres qui sont du même type c’est en vérité l’homme qui est mis en face de sa liberté dans des circonstances particuliéres, concrétes, et qui a à faire de cette liberté un usage valable, ou qui échoue à faire de cette liberté un usage valable, l’auteur peut se proposer des illustrations trés différentes, mais c’est toujours le même théme qui va le hanter. Aussi quelquefois inquiété de cette tendance qu’on peut appeler morale et du même coup philosophique du théâtre. Moral et philosophique ça implique dans les faits parce que le véritable probléme moral, c’est qu’est-ce qu’un homme a à faire de lui-même, qu’est-ce qu’il peut faire de lui-même, et pour répondre à cette question il faut savoir aussi qu’est-ce qu’un homme, qu’est-ce que le monde, que sont les liaisons de l’ homme et du monde, qui suppose tout un arriére-plan métaphysique. On s’est donc quelques fois inquiété de ce caractére à la fois moral et métaphysique du théâtre, par ce que pensent les dramaturges qui sont formés à l’école d’autrefois par ce que pensent aussi certains critiques : si on donne ce contenu idéologique au théâtre, on va en tuer la vérité humaine, la vérité concréte et vivante, on va en faire une démonstration. Si on, vous essayez de répondre à cette question, quand je vous disais que précisément dans Les Mouches Sartres avait vraiment découvert sa pensée et ne s’était pas borné à illustrer une théorie idéologique déjà formée. En vérité, tout auteur, aussi bien quand il s’agit d’une piéce que d’un roman, a une vision du monde singuliére, et c’est la singularité de cette vision qui va intéresser le lecteur ou le spectateur parce que si l’on écrit, c’est qu’on a quelquechose à dire. Avoir quelquechose à dire, c’est avoir sa propre saisi, sa propre conception de l’univers qui nous entoure. Que l’auteur ait une vision particuliérement métaphysique, et qu’il s’intéresse plus spécialement à des questions d’un ordre moral, cela n’empêche donc pas du tout d’atteindre à des vérités tout à fait universelles, cela n’empêche pas non plus qu’il puisse avoir un souci d’art, un souci d’esthétique qui est naturellement nécessaire pour faire une piéce, car, si le théâtre d’aujourd’hui, c’est un théâtre d’une part idéologique et en même temps un théâtre qui a le souci de s’engager, comme je vous le disais au début, un théâtre qui a le souci d’être une action, et pas simplement un divertissement, par exemple, ou même, pas simplement un enseignement abstrait, mais véritablement une action. Il sait trés bien aussi qu’il ne peut se réaliser en tant qu’action, en tant qu’engagement que s’il réussit à être une communication. C’est la premiére condition de toute œuvre d’art, et quel que soit le dessin que proposera le théâtre ou la littérature, elle ne peut pas échapper à cette condition premiére, qui est de réussir une communication.

Par conséquent, nous n’aurons pas dans des piéces comme Les Mouches, comme Caligula, un déclin esthétique, mais au contraire, tout le probléme de la communication, c’est-à-dire de l’esthétique, va se poser à ces nouveaux auteurs comme il se posait aux anciens. De toute maniére, il suffit s’agir, de rendre ce qu’on a à dire quelquechose de vivant, quelquechose de saisissant pour le public à qui on s’adresse. Et nous retrouverons donc là absolument tous les problémes de ce qu’on appéle parfois la forme. Au contraire, ce sont ces inventions du contenu qui permettront à la forme de redevenir quelquechose de véritablement intéressant, et non pas quelquechose d’académique et de mort. Je veux dire que si une forme sert toujours à envelopper les mêmes préoccupations et la même matiére, elle ne se renouvelle pas. Elle ne peut pas se renouveler d’elle-même, et elle finira facilement par devenir quelquechose de figé. En même temps qu’il modifie son contenu propre, le théâtre se trouve, du même coup, obligé de modifier sa forme. C’est même la seule modification valable que l’on puisse trouver. C’est l’introduction d’une matiére neuve, des soucis neufs, des problémes neufs dans le théâtre qui va amener une rénovation générale à laquelle on n’arrivera jamais si l’on se bornait, comme ont fait longtemps les metteurs en scéne entre les deux guerres, si on se bornait à des espéces de rajeunissement artificiel, par le dehors.

Si on a parlé pendant longtemps, et avec raison, d’une crise du théâtre en France, c’est parce que le théâtre n’avait pas véritablement de rajeunissement qui lui venait de l’intérieur, et on avait beau multiplier les écoles de théâtre, essayer de changer la maniére de jouer des acteurs, multiplier les tentatives de mise en scéne, essayer de changer la maniére de présenter la piéce, tout cela restait extérieur, tout cela ne pouvait pas réussir à donner véritablement au théâtre la vie qui lui manquait. Je crois qu’au contraire, cet espéce de renouvellement par le dedans, par les choses que l’on essaie d’exprimer, fera des répercussions dans tout l’ensemble du théâtre, à savoir de la maniére même de l’exprimer, donc sur la maniére aussi bien de jouer, de mettre en scéne, et que c’est dans ce chemin-là que le théâtre d’aujourd’hui doit véritablement se chercher, c’est-à-dire, c’est en prenant au sérieux la tâche qu’il a à accomplir, le fait de communiquer avec le public, de s’adresser à lui pour lui transmettre certaines vérités, certains messages. C’est en prenant conscience de ce rôle que du même coup, alors, le théâtre peut arriver à prendre pleinement conscience de lui-même, et cette résurrection, si l’on peut dire, des soucis, des intérêts qui vont être manifestés dans le théâtre vont rejaillir dans tout l’ensemble de la mise en scéne, du jeu, du langage même, de tout ce qu’on pourrait appeler l’esthétique théâtrale.

En vérité, il y a beaucoup à faire pour les dramaturges qui s’engagent dans ces chemins car, bien entendu, les écueils dont on parle, à savoir de faire un théâtre qui serait trop abstrait, trop, trop idéologique, trop philosophique, trop peu humain, ces écueils existent. Il est certain que si on définit d’abord la situation, les problémes moraux des personnages, on pourra risquer de manquer leur épaisseur vivante, leur épaisseur charnel, et d’en faire des entités abstraites, mais précisément, c’est l’existence même de ces problémes, des questions neuves qui vont se poser qui serviront de stimulant aux auteurs pour créer des œuvres neuves, pour répondre à ces problémes, pour inventer des solutions diverses, si bien que je crois que ce chemin dans lequel s’engage le théâtre est un chemin qui est extrémement fécond. Il y a un autre reproche que l’on adresse parfois au théâtre moderne, comme à toute la littérature en général, c’est de présenter de préférence des drames qui soient des drames extrémement sombre, et d’apporter comme message un message de désespoir. Oreste tue Egisthe et Clytemnestre. Caligula fait périr par milliers les patriciens. Un critique s’était amusé a compter le nombre de meurtres qu’on avait vu se perpétuer sur la scéne française pendant ces trois derniéres années, et si on compte évidemment tous les gens massacrés par Caligula on arrivait à un chiffre trés impressionnant. On peut se demander pourquoi. Et bien, ce n’est pas un fad, un pur goût pour la violence, mais c’est, je crois, parce que nos dramaturges, comme nos écrivains en général, ont un sens trés aigü du tragique du monde moderne, et comme, bien entendu, le théâtre, plus encore que le roman, demande un grossissement des problémes du monde. Si on veut porter sur la scéne la violence du monde moderne, on va être amené à décrire des situations et des conflits où la violence sera exaspéré, mais dans la noirceur, dans le tragique de ces descriptions, je ne crois pas qu’il faut voir, pas plus que dans la littérature en général, une volonté d’avilir l’homme, une volonté de ne le décrire que sous des couleurs absolument sombres et désespérées. Je crois qu’en vérité, pour le théâtre comme pour la littérature, on peut toujours dire ce que Sartre vient d’écrire dans l’article qu’il est en train, précisément, de faire paraître dans Les Temps Modernes sur ce sujet trés général dans la littérature : on peut dire qu’il ny a jamais de littérature ni de théâtre qui soient vraiment noirs, parce que faire du théâtre, c’est toujours s’adresser à des libertés humaines en ayant la volonté de leur apporter un message. Autrement dit, j’ai toujours pensé qu’il y a quelquechose à dire, quelquechose vaut la peine d’être dit, que quelquechose a donc une valeur, et d’autre part qu’il y a des hommes à qui l’on peut le dire, des hommes qui sont capables d’entendre, donc des hommes qui sont libres, qui sont capable aussi de répondre. C’est donc dire qu’il y a quelquechose à exprimer, quelquechose aussi à faire, quelquechose à espérer. Si nos dramaturges nous donnent du monde des visions qui sont sombre, c’est parce qu’ils sont convaincus que le monde présente d’abord un aspect sombre, et que la pire des défaites ce serait de se le masquer et de vouloir accourir au mensonge. Mais, s’ils tâchent de le présenter dans sa vérité, même si cette vérité est noire, c’est précisément parce qu’ils font confiance à cette vérité, et parce qu’ils pensent que par-delà toutes les tragédies qu’ils décrivent, qu’ils présentent, auxquelles ils essaient d’apporter des solutions, sur lesquelles en tout cas ils essaient de méditer, par-delà toutes ces tragédies, il y a la possibilité d’un espoir, et je crois que c’est une des choses qu’il faut comprendre, entr’autres, si on veut saisir un peu le véritable sens de la littérature du théâtre d’aujourd’hui, c’est que, avec toute leur violence et leur cruauté, pourrait-on dire et dans leur volonté de ne rien masquer ni de la réalité, ni du monde, ni de l’homme, même dans ce qu’ils peuvent avoir de plus inquiétant et de plus sombre il y a cependant un espoir trés certain dans les possibilités de l’homme et du monde. Je crois que vous avez pu les trouver même dans les texte que l’on vous a présentés aujourd’hui, et je crois que c’est un des points qu’il faut essentiellement retenir si l’on veut saisir un peu quelle est l’inspiration du théâtre d’aujourd’hui.