A WEBSITE ABOUT FRENCH ARTISTS
L'AVIS DES ARTISTES

vocabulaire utile:

  • livret, m. - libretto (opera)
  • attrayant - attractive
  • franc - frank, straightforward, outspoken
  • sombrer - to sink, to sink into
  • transport, m. - transport (fig., emotion)
  • larme, f. - tear, teardrop
  • soupir, m. - sigh
  • pudeur, f. - modesty, shame
  • souhaiter - to hope for, to wish
  • goûter - to taste
  • comédien, m. - actor
  • occidental - western
  • inconstance, f. - fickleness
  • remise en cause, f. - questioning
  • arracher - to snatch away, to tear off
  • mériter - to deserve
  • vaillant - valiant, courageous
  • gracieux - graceful
  • remonter - to re-stage (play)
  • rediffuser - to re-broadcast
  • rendre les armes - to surrender
  • roupie - rupee ; idiom : c’est de la roupie de sansonnet- it’s a load of rubbish
  • blasphème, m. - blasphemy
  • recherche, f. - search, pursuit
  • apaiser - to appease, to satisfy
  • inassouvi - unquenched, unsatisfied, insatiable
  • foi, f. - faith
  • pérennité, f. - permanence
  • à la fois - at the same time, both, equally
  • volatile - volatile, explosive, changeable
  • nettement - clearly
  • voué - doomed, destined, devoted
  • gager - to bet, to wager
  • inatteignable, m. - unattainable (atteindre - to attain)
  • préscience, f. - foresight, foreknowledge
  • jurer- to swear
  • songer - to dream, daydream
  • bafoué - puzzled
  • entrainer - to lead to
  • ironiser - to be ironic
  • aboutissement, m. - culmination
  • propos, m. - comment, subject, intention
  • dissimuler - to conceal, dissimulate
  • armure, f. - armour
  • faille, f. - flaw
  • faiblesse, f. - weakness
  • insaisissable - elusive

Don Juan - le mythe

En cette saison artistique 1987-1988 toute la France culturelle s’est retrouvée sous le cîme de Don Juan. Et pas seulement à cause du bicentennaire de la création de Don Giovanni. Au théatre, à l’opéra, à la télévision, partout on remonte on joue, on rediffuse les Don Juan, Molière où Mozart, et l’on s’interroge sur le mythe -- pourquoi Don Juan fascine-t-il encore?

TIRSO DE MOLINA

Actrice: Quel beau jeune homme, vaillant, noble, gracieux. Venez à vous, seigneur!
Acteur: Où suis-je?
Actrice: Vous voyez dans les bras d’une femme.
Acteur: Mais, oui!

MOLIERE 1665

Acteur: Belle Charlotte, je vous aime... de tout mon coeur... et ne tiendra qu’à vous que je vous arrache de ce misérable lieu et ne vous mette dans l’état où vous méritez d’être. Cet amour est bien franc, sans doute, mais c’est un effet, Charlotte, de votre grande beauté et on vous aime autant dans un quart d’heure qu’en ferait un autre en six mois.

MOZART: DON GIOVANNI(livret italien)

JULIA KRISTEVA

Don Juan c’est le comédien par excellence. Ou en termes plus nobles, on pourrait dire que c’est l’homme baroque. Mais peut-être que tout comédien est un homme baroque. Alors, l’âge baroque c’est un moment extrèmement fascinant dans la culture occidentale. Pour ne pas aller dans tous les détails, disons que c’est le moment de l’inconstance, de tout ce qui change, des valeurs sans valeur, de la remise en cause de toute identité.

extrait de l’opéra

MOLIERE

Acteur (Don Juan): On goûte une douceur extrème à réduire par cent hommages le coeur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer petit à petit toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à combattre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement là où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire, il n’y a rien à souhaiter, tout le beau de la passion est fini. Et nous nous endormons dans la tranquilité d’un tel amour si quelque object nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre coeur les charmes attrayants d’une conquête à faire.

JEANNE MOREAU

Intervieweur: Ça vous semble bon de rencontrer quelqu’un qui incarnerait le mythe de Don Juan et de le reconnaître?
JM: Certainement pas.
I: Inimaginable?
JM: Je veux dire que les gens qui pourraient se penser Don Juan c’est de la roupie de sansonnet, je veux dire qu’il faut de la grandeur. Nous ne vivons pas à une époque de grandeur.
I: A d’autres époques vous croyez qu’il y a eu?
JM: Peut-être. Peut-être cette recherche de l’absolu, sans doute, oui. A travers la possession des autres, oui, peut-être.
I: Ça veut dire quoi, qu’aujourd’hui on rencontre quoi, des Casanovas mais pas de Don Juan?
JM: Et encore, Casanova, vous l’offensez. Je veux dire à une époque où vous avez des affiches où on vous donne des numéros de minitels pour converser avec des dames ou des messieurs pour apaiser vos appétits sexuels et amoureux, je pense que il n’y a guère de place ni pour Casanova ni pour Don Juan, non.

NARRATEUR:Au dix-septième siècle, Les Lettres de la Religieuse Portuguese développent aussi le thème de la séduction.

ACTRICE: Ne croyez rien de ce que je vous dis. Laissez-moi vous suivre. Je ferai votre bon plaisir. Je déteste trop la tranquilité que j’ai connue avant vous. Je suis folle, emenez-moi. J’aurai peut-être assez de soumission pour servir celle que vous aimez.
ACTEUR: Finissons, madame. Cette qui vient va m’endormir. Je ne suis pas un ange. Je fus votre dévot mais je suis dévot d’une autre, voilà tout. Il n’y a que celui-ci dont je ne serai jamais dévot.
ACTRICE: Taisez-vous. Ce blasphème est inutilie.
ACTEUR: Mais, non, Marianna. Je dis ce que je pense. Faites comme moi, oubliez, jetez ces prières de sortir. Faites entrer de la lumière, de la lumière partout. Je t’ai offert de sortir. Du soleil dans ces cryptes, du soleil dans votre coeur...

NARRATEUR: On dit toujours Don Juan c’est le désir, mais que le désir et non la possession.
JULIA KRISTEVA: C’est en effet le désir de séduire, mais non pas de posséder. Et ça se voit très nettement quand on voit avec quelle facilité il passe d’une conquête à une autre. Ce qui l’intéresse c’est de conquérir, mais non pas de dominer cette conquête. Le terme de possession renvoit davantage à quelquechose de stable, qui va durer, à la pérennité -- je te possède, tu me possèdes et nous sommes voués à la fois au bonheur et au malheur. C’est plutôt un terme que j’employerai pour la passion romantique. Et quand tu ne me possèdes plus je sombre dans la dépression. Et vice versa. Don Juan n’est pas dans cette logique. Il est dans l’intermédiare. Il est dans l’inconstance, dans le passage, dans le volatile. Et Don Juan a peut-être la particularité de nous parler de la sexualité masculine dans ce qu’elle a de plus extravertie, de plus visible, de plus orienté vers la démonstration d’un pouvoir, et en même temps, dissimilant quelque part dans les failles de cette armure brillante des faiblesses et des impossibilités. Il aime, mais est-ce qu’il ne s’aime pas lui-même finalement? Est-ce qu’il n’aime pas simplement sa manière de jouer, et pas du tout les différents objects visibles de sa passion qui sont des femmes finalement qui comptent pas tellement.

extrait de l’opéra

Intervieweur: La séduction de Don Juan à l’égard des femmes consiste en quoi?
Jeanne Moreau: Certainement le côté sombre, le côté insaisissable. On a toujours envie de ce que l’on ne peut pas avoir. C’est certainement ça, le pouvoir de Don Juan. L’inatteignable.
I: Dans quel sens?
JM: Pour la femme, cet homme qui veut les séduire et, elles ont certainement, elles avaient certainement la préscience qu’une fois prises elles seraient abandonnées. C’est un peu se brûler.
I: Et ça c’est fascinant.
JM: Pour certaines, oui.

extrait de film:

Jeune fille 1: Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte? Est-ce que vous lui parlez d’amour aussi?
DJ: Non, au contraire, c’est elle qui témoigne, qui veut être ma femme et je lui disais que j’étais à vous.
JF1: Qu’est-ce que c’est donc qui vous a fait rire?
DJ: Elle est jalouse, elle veut vous parler. Je lui disais que c’est vous que je veux. Oh!
JF1: Quoi, Charlotte
DJ: Qu’est-ce que vous lui direz? C’est inutile.
Charlotte: Comment donc l’as-tu...
DJ à C:Si vous lui parliez vous lui ôterez cette hantise.
DJ à JF1:...
C: Je voudrais...
DJ: Elle est obstinée, comme tous les diables
JF1: Vraiment?
à JF1: Ne lui dites rien, c’est une faille
à C: C’est une extravagante.
à JF1: Je gage qu’elle va vous dire que je lui a promis de l’épouser.
à C: Gageons qu’elle te dira que je lui a donné parole de la prendre pour femme
JF1 à C: Oh, Charlotte...

Intervieweur à JM: Don Juan n’est pas heureux.
JM: Certainement pas, puisqui’il est à la recherche, et il a une recherche inassouvie perpetuellement inassouvie. C’est toujours aller au-delà de quelquechose pour voir. C’est comme si il s’attendait à ce que la parole de Dieu résonne. Est-ce que Dieu existe? Est-ce qu’Il me regarde? Est-ce qu’Il m’entend? Est-ce qu’Il m’observe?

F: Si tu me jures de m’épouser, je suis à toi.
DJ: Donne-moi ta main. Voici ma main, voici ma foi. Je jure devant Dieu et devant les hommes d’être ton mari.
F: Mais prends garde, songe qu’il y a Dieu.
DJ: J’ai juré devant lui.

Madame: Pour Don Juan, où l’homme baroque, la transcendance existe, même si elle est distante. Même s’il est bafoué. Elle est la pour que je puisse m'y mesurer, pour que je puisse jouer avec, mais elle est là et c’est d’ailleurs un délégué de la transcendance qui se manifeste à la fin, c’est le commandeur qui l’entraîne dans les flammes et qui donne cette espèce d’idéal par rapport auquel il se bat, par rapport auquel il joue, qu’il ironise, mais qui est là.

Monsieur André Pieyre de Mandiargues: Mais son action montre est tou de même lié, à la religion par la faute.
Intervieweur: Mais je vais reprendre un peu la phrase de Georges Bataille, qui dit "l’érotisme c’est jeter la mort dans la vie."
APM: Oui
Intervieweur: Mais est-ce que ce n’est-ce pas le propos constant de Don Juan?
APM: Oui, en effet. De jeter la mort dans la vie, et en même temps de jeter la vie dans la mort, étant donné que c’est l’aboutissement de son activité de mâle et qu’il ne fait rien pour éviter la mort. Peut-être attend-t-il de la mort quelquechose que nous ne savons pas et qui fait une sorte de plaisir différent de, des plaisirs que lui donnent ses femmes habituelles.

la Mort: Voici ma main, voici ma foi, devant Dieu et devant les hommes je jure que tu vas épouser la Mort.


QUESTIONS DE COMPRÉHENSION ET DE RÉFLEXION
  1. Que pensez-vous que Jeanne Moreau veut dire sur la "recherche" de Don Juan -- qu’il existe peut-être une recherche de l’absolu à travers la possession des autres?
  2. Julia Kristeva explique qu’elle trouve en Don Juan l’homme baroque. Comment l’explique-t-elle?
  3. Comment Julia Kristeva explique-t-elle le contraste entre la passion romantique et le désir de séduire de Don Juan?
  4. Selon J. Kristeva, qu’est-ce qu’il aime, Don Juan?
  5. Jeanne Moreau dit que nous vivons à une époque où il n’y pas de place pour des Don Juan, ni des Casanovas. Qu’est-ce que en pensez ? Notre époque est-elle différente en ce qui concerne les relations entre l’homme et la femme ?
  6. Comment Jeanne Moreau explique-t-elle la séduction de Don Juan, ce qui attire les femmes?
  7. Jeanne Moreau dit aussi que Don Juan est malheureux. Pourquoi?
  8. Qui est-ce que Don Juan épouse à la fin de l’histoire? Comment interprétez-vous ce mariage?