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L'AVIS DES ARTISTES

vocabulaire utile:

  • génant - cumbersome, annoying, unpleasant
  • conduite, f. - behavior, conduct, conducting, supervision
  • s’éfforcer - to endeavor
  • admettre - to accept, to admit
  • tenir compte de - take into consideration
  • comédien, m. - actor, comic actor
  • dans la mesure où - insofar as
  • parti (m.) politique - political party
  • but, m. - goal, purpose
  • colère, f. - anger
  • sagesse, f. - wisdom
  • théatre lyrique - musical theatre
  • faire en sorte que - proceed in such a way that, so that
  • ministre, m. - political minister, Secretary of State, Secretary, delegate
  • élevé - high (price), raised (animals, children)
  • supprimer - to cut out, to stop, to abolish
  • éliminer - to get rid of, to wipe out, to eliminate, to rule out
  • pourboire, m. - tip
  • pardessus, m. - overcoat
  • concitoyen, m. - fellow countrymen
  • prolétariat, m. - proletariat
  • condition, f. - condition
  • moyens, m. - means (financial or other)
  • craindre - to fear
  • didactique - didactic, educational
  • en ce qui concerne - relative to
  • divertissement, m. - entertainment
  • chef d’oeuvre, m. - masterpiece
  • drôle - funny
  • attrait, m. - attraction, appeal
  • claironner - to shout from the rooftops (clairon, m. - bugle)
  • fuir - to flee
  • huppé - upper crust (socially)
  • apparat, m. - grandeur, ceremony
  • proprement - purely, in the strict sense of the word
  • reconnaissant - grateful
  • faiblesse, f. - weakness
  • paresse, f. - laziness
  • peu importe - it doesn’t matter much; it is of little importance
  • infime - tiny, minute, remote
  • modeste - modest (financial, budget, investment, award)
  • réalisation, f. - fulfillment, completion (project, plan)
  • metteur-en-scène, m. - theatre director
  • parvenir - to reach, to achieve
  • diriger - to lead, to be in charge of, to manage
  • réfléchir - to think about, to ponder
  • souvenir, m. - memory, keepsake
  • façon, f. - manner, way
  • métier, m. - profession, trade
  • mélanger - to mix
  • volonté, f. - will, (bonne volonté - goodwill)
  • divergent - divergent
  • sein, m. - breast, (au sein de) at the heart of
  • néfaste - harmful, damaging
  • irréductible - implacable, indomitable, relentless
  • troupe, f. - theater or dance troupe, troop, rank and file, band or group
  • douleureux - painful, distressing

Jean Vilar - Directeur du Théâtre National Populaire

Au cours de mes 12 années de direction du Théâtre National Populaire, on m’a fréquemment demandé en quoi ces trois mots "Théâtre National Populaire" correspondaient au travail effectué par la compagnie ou bien ce qu’il signifiaient pour moi et pour l’équipe, si ces trois mots avaient été une sorte de conduite de notre action. Je m’éfforçais au cours de ces dialogues que j’avais avec certaines parties du public de définir ces trois mots et je vais essayer de les définir cette fois-ci si possible un peu plus clairement, et, si possible encore un peu plus profondement. Je ne commencerai pas par le premier; je veux dire que je ne commencerai pas par le mot théâtre, mais je commençerai par le second. Ce théâtre porte, et portais, sous ma direction, et porte encore, le nom de National. Le mot national, je crois que ça implique beaucoup de devoirs et cela crée aussi beaucoup de défenses. C’est-à-dire que la direction d’un théâtre national, et bien des directeurs de théatres privés ne l’ont pas toujours compris ou admis, la direction d’un théâtre national implique au moins le devoir suivant le plus simple, c’est que quoi qu’il fasse, quelque pièce qu’il choisisse, quelque style qu’il emploie, il est contraint à ce que son oeuvre s’inclut dans les siècles de théâtre. Çela paraît un projet ambitieux, mais il est difficile à un directeur de théâtre national de ne pas tenir compte de toutes les écoles, de toutes les traditions, de toutes les querelles qui ont imagé, ont fait vivre ou, ici et là, mourir, telle grande école où telle grande leçon du passé. Le mot national, étant inclu dans ce Théâtre National Populaire -- allait-on faire uniquement des choses de la tradition. Bien sûr que non. Il fallait que ce théâtre national étudie, connaisse, et, qu’on me permette le mot, ait digéré toutes ces grandes traditions mais en même temps s’adressant à un public français, un public au moins parisien, et il ne faut pas oublier que nous avons joué presque aussi fréquemment en province, en banlieu parisien, qu’à Paris. Il fallait que ce théâtre, donc, se place par rapport à la nation, par rapport au peuple existant. C’est-à-dire qu’il ne fallait pas présenter un musée du théâtre, mais fort des traditions passées, des leçons reçues par le passé, faire un théâtre moderne et un théâtre vivant. Je crois que c’est là la plus grande leçon que l’on peut tirer du passé, c’est que les théatres les plus anciens et les plus grands ont toujours été des théatres extrèmement vivant de leur temps et à ce point vivant que lorsque nous nous reprenons une de leurs oeuvres, il reste encore vivant et bien vivant. Mais ce mot national crée d’autres obligations. D’autres obligations dans son administration, et disons le mot en tout clair en sa comptabilité dans son droit et avoir. Il ne fallait pas que des pièces trop riches, ou une exploitation trop généreuse crevera dangereusement le budget d’un théâtre qui après tout pendant douze ans a été celui et de loin le moins soutenu par l’Etat. Il fallait donc, et combien cela est difficile, auprès d’artistes, il fallait donc que, non pas seulement le Directeur, mais, cela va de soi, les services de l’administration, services essentiels de l’administration, mais encore les comédiens comprennent que tout ce qu’ils faisaient, leurs recherches, leur gloire, leurs écheques, s’incluaient dans une entreprise qui était qui n’était pas celle d’un individu, qui n’était pas celle d’un metteur en scène, d’un directeur, mais qui était celle d’une collectivité. Je sais bien que tout ça paraît un peu vaste comme devoir, mais je crois que lorsqu’un directeur d’un théâtre national n’oublie pas cette chose son oeuvre est plus profonde, son oeuvre est plus efficace, son oeuvre est plus vraie. Le théâtre est un devoir national. Théâtre et devoir national n’ont jamais été des mots génants. Je viens d’essayer, j’ai tenté d’expliquer ce que signifiait pour nous ce mot national inclu dans notre label.

Je voudrais à présent, ayant à définir les deux autres mots, le mot théâtre et le mot populaire, passer à ce dernier, et dire comment pendant ces douze ans de direction j’ai tenté d’éclairer ce mot, de lui donner un sens, et, dans la mesure où ou je le pourrais, de savoir quel sens même lui donner. Par expérience, tout Français sait bien que, depuis disons une vingtaine d’années, depuis la fin de cette seconde guerre, le mot populaire a pris un sens politique, précis que populaire signifie obligatoirement extrème-gauche, c’est-à-dire que le mot populaire, qui est un adjectif après tout, qui n’a pas de sens profondement politique, en a pris un. Et bien, et d’ailleurs, peut-être l’attitude que nous avons eu pendant ces douze ans,des pièces que nous avons, certaines pièces que nous avons choisies, ont-elle poussé certaines personnes à penser que nous faisions un théâtre de parti, et le théâtre d’un certain parti. Je crois que maintenant, les querelles étant terminées, on voit bien que tel n’était pas notre but, pourquoi, non pas parce que certains d’entre nous peut-être auraient abandonné ses propres idées mais parce que il nous paraissaît dangereux qu’un théâtre prît une option politique et ne prît que celle-là, prît une décision, face à un choix, qui eút un parti pris politique. Ce qui est paradoxale, et je tiens à rappeler ce petit souvenir, c’est qu’au moment où on nous traitait, disons le mot, de communistes, et de communistes acharnés, nous jouions à ce moment-là une des oeuvres qui pouvait passer presque pour une oeuvre sinon Nazi pas du tout - au-dessus de cela - mais une oeuvre franchement prussienne, qui était à la gloire de la Prusse, qui était à la gloire des armes. Et cette pièce s’appellait le Prince de Hambourg. Si bien que d’ailleurs pour certains Kleist était un Nazi, et je jouais la pièce de Brecht, Bertold Brecht Mère Courage parce que Brecht était communiste. On sait que dans certains milieux politiques et quand la colère est reine la sagesse et la raison ne sont plus présentes.

Mais enfin je voudrais donner un sens de ce mot populaire et y voir clair un peu. Cela ne l’a pas toujours été. J’ai préféré définir, plutôt que d’entrer dans des discussions, dans des définitions dangereuses. Je préférais me tenir à ce point qui me paraît sage et très simple, il y a Paris au moins, dépêchons-nous, nous ne parlons pas de la province, il y a à Paris environ quarante-cinq théatres dramatiques. Je ne parle pas des cabarets littéraires, je ne parle pas des théatres lyriques. Et bien, il faut qu’il y en ait un, et ce sera le Theatre National Populaire, il faut qu’il y en ait un qui présente si possible les meilleurs spectacles de Paris mais en tout cas, le présente dans des conditions de prix populaires. Nous avons fait en sorte pour que non seulement le prix des places, prix des places qui d’ailleurs était décidé avec le Ministre, ne soit pas élevé, soit le plus bas possible mais en même temps que tous les à côtés du théâtre qui coûtent cher aux spectateurs, soient absoluement éliminés et supprimés. Je rappelle que un spectateur qui venait au Palais de Chaillot n’avait à payer que le prix de sa place, pas de pourboire, pas de pourboire ni pour être placé, pas de pourboire pour poser son pardessus et cetera, et cetera, et bien d’autres choses.

Donc populaire signifiait pour nous ceci dans notre action, signifiait que notre action, notre travail, nos mises en scène, nos interprétations, nos pièces, nos oeuvres, notre respiration même fonctionnent uniquement en vue de la partie la plus défavorisée de la nation, travaillent pour ceux qui gagnent le minimum et nous avons tout fait pour, par l’intermédiares des associations populaires d’abord pour toucher cette partie de nos concitoyens. Je crois que sans dire que nous ayons fait du théâtre populaire, c’est-à-dire du théâtre pour le prolétariat, nous avons tout de même fait du théâtre dans ce sens c’est que sur un moyen de deux mille trois ou deux mille quatre cents spectateurs qui venaient tous les soirs dans cette salle, il faut bien affirmer que il y en avait au moins deux mille qui avaient une petite condition, qui avaient des moyens financiers extrèmement bas. Je crois que donc nous avons au moins en ce qui concerne ce mot populaire comment dire, non pas réussi notre mission, mais approché et respecté en tout cas, la mission qu’on nous avait confiée. Mais il y avait une autre chose dans ce mot populaire. Il y avait bien d’autres choses dans notre esprit et cela ne s’est pas décidé, et cela ne s’éclairarent tout de suite, tout d’un coup. En étant nommé Directeur du Théâtre National Populaire j’ai bien senti qu’il y avait une part d’éducation à faire, mais je le craignais, je le craignais pourquoi parce que l’éducation veut dire lycée ou collège, veut dire enseignement à l’heure, veut dire tout le côté didactique de l’enseignement m’avait toujours paru dangereux en ce qui concerne le théâtre. Cependant, il fallait que les oeuvres que nous jouions ne soient pas seulement qu’un divertissement, que ce soit une chose agréable pour les spectateurs, il fallait aussi qu’il y eut une leçon et beaucoup de choses qui étaient obscures dans mon esprit en ce qui concerne les chefs d’oeuvres s’éclairèrent tout d’un coup. C’est à dire que je m’apercus ou en tout cas c’était beaucoup plus net et précis que tout grand chef d’oeuvre n’ést pas qu’une belle tragédie atroce ou terrible et douleureuse ou une grande comédie, une chose drôle, mais qu’elle est aussi une leçon. Et je me suis efforcé à travers les pièces que je choisissais, d’ailleurs, ceci non depuis la première année mais tout au moins dans les premières années, de choisir des oeuvres où la leçon soit presentée avec les plus beaux costumes du monde mais non seulement mais encore avec une espèce d’attrait qui vienne de la leçon même. Cela est assez facile à découvrir tout au moins sinon à traduire pour l’acteur. Cela est aussi facile dans les oeuvres de quelques uns de nos grands maîtres et je pense à Corneille, et c’est la raison pour laquelle nous avons claironné plus souvent Corneille que Racine mais cela est aussi une bonne leçon pour l’artiste. Comment éduquer ou enseigner un public sans être insupportable, ou sans le faire fuir. Et bien je crois que il fallait se taire, ne pas dire que l’on allait incluire une leçon sous l’oeuvre, rechercher la leçon du poète, mais cela consistait et je crois que c’est là le talent essentiel, le talent quotidien de l’artiste, c’est que quand il y a une leçon et au théâtre il doit y avoir le plus souvent une leçon, il faut que cette leçon soit présentée avec les charmes des divertissements, avec toutes les graces, et ça n’est pas pour rien que nous avons fait parfois des efforts considérables aussi bien que les théâtres les plus huppés, les plus célèbres, où les plus artistocratiques disons, en ce qui concerne la présentation, en ce qui concerne les costumes, en ce qui concerne tout l’apparat proprement théatrale. Je crois que de cela le public nous a été reconnaissant. Ce public a été d’une fidelité assez étonnante au cours de ces douze années, de cette fidelité qui n’est pas celle de l’esclave, mais bien au contraire celle de l’homme libre puisque après tout, après une mauvaise année nous avons eu des difficultés financières parce que les salles au TNP n’ont pas toujours été pleines. Mais enfin il y avait entre eux et nous cette espèce de compromis, de compromis aesthétique disons, qui consistait à bien voir sous les apparats et sous les richesses des costumes, la leçon et la leçon profonde et aussi bien la leçon claire.

Ensuite il me faut définir ce que représentait pour nous le mot théâtre. Cela me paraît un peu drôle d’avoir à le définir, bien sûr, mais enfin il faut le faire et c’est évidemment la chose la plus difficile qui soit. Après tout, on n’a pas fait le théâtre des autres nolens, volens nous le voulons, nous le voulons pas, on a fait son propre théâtre. Et bien, je crois que justement le chef de troupe que j’ai été n’a pas toujours fait ce qu’il aurait voulu faire. Faiblesse de caractère ou paresse d’esprit peu importe j’ai toujours eu le goût à ce que mes collaborateurs aussi bien les postes les plus infimes, les plus modestes, participent au travail. Je pense qu’ils ne s’en sont pas tous aperçus. Je pense que la majorité ne l’a pas vu. Pourtant, je me suis efforcé à ce que ce théâtre soit un théâtre non pas d’un homme mais que ce soit un théâtre né, un enfant né d’un mariage multiple, d’une union multiple et il est arrivé très souvent que tel collaborateur qui n’était pas forcément un acteur mais qui pouvait être aussi bien un peintre, un musicien, qu’un administrateur ait eu plus d’importance par rapport à la réalisation de l’oeuvre que le metteur-en-scène et le directeur. Bien sûr je ne suis pas toujours parvenu à faire cette espèce d’esprit collectif du théâtre tout au moins dans ma troupe, dans la troupe que j’ai dirigée mais je crois que si l’on réfléchit à ces douze ans, ceux, tout au moins qui réfléchissent sur ces douze ans, qui en conservent des souvenirs, doivent voir que ce style qui paraît une certaine façon de faire par une volonté unique de par une volonté unique a été ici où la l’oeuvre aussi bien de tel ou tel musicien, de tel ou tel peintre, de tel ou tel acteur et non pas un seul acteur pour une pièce mais de cinq ou six principaux acteurs. C’est dire que pour moi, tout au moins là où j’en suis, le théâtre ne peut pas être l’enfant d’un seul homme, ne peut pas être le fruit d’un seul arbre. Je crois que à l’heure même que nous appelons dans nos salles les classes populaires dont les métiers sont mélangés, je pense que de l’autre côté, sur le plateau, il faut que le travail présenté soit le résultat de volontés peut-être divergentes, peut-être et même parfois, ennemies. Le tout est que par cette espèce de résolution obligatoire où l’on est quand on fait du théâtre, on arrive à présenter une oeuvre qui ne soit pas trop contradictoire, mais la contradiction au sein même d’une oeuvre n’est jamais néfaste. J’ai toujours rêvé par exemple pendant Shakespeare d’un Shakespeare dont tel ou tel tableau serait mis par Dupont, tel autre par Durand et tel et tel autre par Martin. Et nous serions peut-être surpris de voir à quel point le théâtre, comme la vie, aime les contrastes, aime les solutions ennemies, aime les irréductibles.

QUESTIONS DE COMPRÉHENSION ET DE RÉFLEXION
  1. Comment explique-t-il les trois mots: théâtre, national, populaire?
  2. Comment conçoit-t-il leur devoir envers le public?
  3. Cette idée d’une leçon dans une pièce, la trouvez-vous dans le cinéma? Pouvez-vous citer une pièce de théâtre ou un film dont vous avez apprécié la "leçon", et expliquer cette leçon?
  4. Comment interpretez-vous cette idée que "le Théâtre, comme la vie, aime les contrastes, aime les solutions ennemies, aime les irréductibles"? Pouvez-vous en donner un exemple?