A WEBSITE ABOUT FRENCH ARTISTS
L'AVIS DES ARTISTES

vocabulaire utile:

  • livret, m. - libretto (opera)
  • parti pris, m. - preconceived idea, prejudice
  • disponible - available
  • scintillant - sparkling
  • s’évanouir - to faint
  • s’effondrer - to collapse
  • crépuscule, m. - twilight
  • témoin, m. - witness
  • fécond - fertile
  • les six - un groupe de compositeurs francais dans les années 1920 qui cherchaient un départ du grand romantisme: Darius Milhaud, Francis Poulenc, Arthur Honegger, Georges Auric, Louis Durey, et Germaine Taillefaire
  • duodécaphonisme, f. - twelve tone row
  • âme, f. - soul
  • quarantaine, f. - approximately forty (also quarantine)
  • voie, f. - path, road, way
  • archaïsme, m. - archaism
  • vieillard, m. - old man
  • entraîner - to lead to
  • périmé - out-dated, expired
  • dépassé - outdated, outmoded
  • partition, f. - musical score
  • se dégager - to give an impression, to extract oneself
  • meler - to mix, to combine
  • à la fois - both, simultaneously
  • éblouissant - dazzling
  • prodigieux - prodigious, wonderful
  • moyens, m. - means (lit. and fig.)
  • attirer - to attract
  • se réunir - to gather together, to come together
  • disponibilité, f. - availability
  • échapper - to escape
  • contrainte, f. - constraint
  • arrosoir, m. - watering can, sprinkler
  • phare, f. - headlight, seminal work
  • surmener - to overwork
  • volonté, f. - will, desire
  • quant à - as for, concerning
  • atelier, m. - studio
  • coupure, f. - pause, break, gap
  • bouleversement, m. - upheaval
  • essai, m. - test, try, trial (not judicial)
  • citer - to name, to quote
  • aesthétique - asthetic
  • dévier - to deflect, to veer off course, to swerve
  • corde, f. - string (orchestre à cordes)
  • violoncelle, m. - cello
  • remous, m. (invariable) - upheaval, slipstream, backwash
  • ferment, m. - ferment (lit. & fig.)

Henri Sauguet - compositeur

PARIS 1924, La Capitale des Créateurs Artistiques
(enregistré en 1964)

Introduction/Narrateur

Il est né avec le siècle (1901). Au lendemain de la Grande Guerre, il quitte Bordeau, arrive à Paris ou c’est Darius Milhaud qui lui fait entendre la musique de Schoënberg. C’est aussi Darius Milhaud qui lui met en relation avec le groupe des six. La musique des six l’attire. Celle de Schoënberg ne lui semble pas une nouveauté. Elle lui rappelle le "modern style" dont tous les bons déjà se moquaient. Henri Sauguet n’hésite pas longtemps, il choisit d’écrire une musique sans parti pris, une musique de liberté. Mais le Paris des années vingt, comme on dit, est la capitale des créateurs, des artistes disponibles et toujours merveilleusement libres. Stravinsky, Satie, Milhaud, Poulenc, sont les compagnons du jeune musicien, ses compagnons de l’aventure créatrice. Et Cocteau aussi et Max Jacob. C’est le temps du Boeuf sur le Toit, de Picasso, de Braque, de Matisse, et enfin, comme un merveilleux arc-en-ciel, Diaghilev et ses Ballets Russes. Henri Sauguet est un musicien heureux. Il ne cesse guère de composer: des ballets, comme le célèbre ballet "Les Forains" (1945), des opéras, dont "la Chartreuse de Parme" (1927-36) sur un livret tiré du roman de Stendhal, des symphonies, des musiques de scène pour la Comédie Française, pour le grand Douvet, pour l’incomparable Dulin, et la consécration, la gloire, lui viennent tout à coup quand Serge Diaghilev lui commande un ballet, "la Chatte" (1927).

La Guerre, la Deuxième Guerre Mondiale et sa longue nuit interrompt la scintillante carrière d’Henri Sauguet. Le temps du Boeuf sur le toit, l’époque enchanteresse des ballets russes, le merveilleux printemps des grands maîtres, s’évanouissent, et semblent s’effondrer dans le nouveau crépuscule Wagnerien. Henri Sauguet revient à son art après la libération de la France et de l’Europe. On le retrouve aussi fécond, aussi brillant qu’autrefois. Il écrit des mélodies, des musiques de films, une suite pour orchestre à cordes, et vient de nous donner un concerto pour violoncelle créé à Moscou il y a quelques semaines par le célèbre Rostropovich. Un musicien heureux et libre, le musicien de l’explosion de liberté des années 20, il est de ceux qui pourraient dire, et diraient volontiers, si c’était à refaire, je reprendrai le même chemin.

HENRI SAUGUET

Il m’arrive souvent, arrivé à ce point de ma vie, à ce moment, de mon existence de musicien, de penser ce que je penserai de moi si j’avais vingt ans. Si, au lieu d’être arrivé à l’âge de soixante et quelques années, que je possède maintenant, j’avais vingt ans, qu’est-ce que je dirais, qu’est-ce que je penserais de la musique d’un nommé Henri Sauguet si je me trouve en face d’elle d’un coup. Est-ce que je considererais que cette oeuvre, toute entière, appartient au passé, qu’elle est surannée, qu’elle est préoccupée de choses qui ne sont point dans le mouvement, dans le temps, et si, corps et biens, je me serais jeté, à l’âge de vingt ans, dans ce mouvement qui fait aujourd’hui tant de ravages dans la musique contemporaine, cette recherche d’un style à travers la série, à travers la duodécaphonisme, à travers tout ce mouvement d’écriture qui a créé un nouvel ensemble un nouvel état d’âme, un nouvel état d’esprit musical ou si je continuerais à écrire la musique que j’ai déjà écrite, c'est possible que, je n’aurais pas dévié de mon chemin. Et, en musicien de soixante ans, qui a eu vingt ans, on remonte au cours des années et je considère qu’en effet il y a de cela maintenant une quarantaine d’années. Mais quand on vit tout d’un coup dans la présence d’une musique, de plusieurs musiques, plusieurs courants musicaux, si je n’ai pas choisi celui qui était de faire une musique qui était post-romantique, si je n’ai pas choisi d’écrire une musique qui fût impressioniste, ou post-Debussiste, si je n’ai pas choisi d’écrire une musique choque, comme le "Sacre du Printemps" de Stravinsky semblait ouvrir une voie à celle-là, si je n’ai pas choisi d’écrire une musique qui fut dans le sentiment de toute une sorte d’archaïsme, de retour, au folklore, ou d' un retour à Bach, ou au formes nobles du classicisme, si je n’ai pas choisi même d’écrire à ce moment-là une musique qui fût post-Schoënbergienne, ou post Weberienne, car je la connaissais, et si j’ai choisi d’écrire une musique qui fut libre de toute sorte d’indication aesthéthique et qui se voulait simplement musique de jeune homme, puis musique d’homme, et puis musique maintenant peut-être de vieillard, c’est que à ce moment précis de ma vie ou ce choix était à faire j’ai été entrainé par un mouvement de liberté, un mouvement de totale indépendence, qui venait de naître tout autour des années d’après la guerre de 1914-18. Quant au mouvement, mouvement qui aujourd’hui a pris la première place dans la vie musicale du monde, ce mouvement de duodécaphoniste et du mono-sérielle, je le connaissais bien. En effet, m’étant lié par lettre avec Darius Milhaud, celui-ci m’invita à venir faire un voyage à Paris pour écouter. Le "Pierrot Lunaire" de Schoënberg, qu’il allait donner en audition première à la Salle Gavot avec Mme. Maria Franc comme cantatrice, et pour écouter on a "Les Suèdois", le ballet "L’homme et son désir" qui venait d’être créé, et "Les mariés de la Tour Eiffel", le ballet que Jean Cocteau avait écrit avec le Groupe des Six. J’entendis donc le "Pierrot Lunaire" de Schoënberg, qui m’impressiona beaucoup mais que je trouvais appartenant à une aesthéthique tout à fait périmée. J’assimilais assez cette ligne musicale, cette façon de procéder, ces touches impressionistes, à quelquechose qui me rappellait le "modern style" et qui m’apparaissait tout à fait dépassé. Par contre, me trouvant en contact avec la musique de Darius Milhaud que j’entendais pour la première fois en dehors du piano où je la jouais moi-même dans la ville de Bordeaux où j’habitais, me trouvant pour la première fois en contact avec cette musique vraiment nouvelle et qui apportait à ce moment-là une chose tout à fait étonnante c’est cette part importante de la percussion dans la partition musicale, qui était "L’homme et son désir". Me trouvant en contact avec cette farce sublime et étonnante et détonnante qui était "Les mariés de la Tour Eiffel" et cette partition du Groupe des Six, je fus tout de suite attiré par cette odeur de nouveauté qui se dégageait de cet ensemble d’oeuvres, et j’ai décidé d’orienter toute mon oeuvre dans ce sens-là, non point que je voulais imiter ce que je venais d’entendre, mais que je sentais que c’était là où se trouvait la vraie liberté pour un jeune artiste, les moyens qu’il avait de pouvoir s’exprimer lui-même librement comme il le souhaitait, avec sa propre personnalité et par ses moyens propres.

Depuis, c’est à Paris que j’ai écrit l’oeuvre de ma vie. C’est à Paris que j’ai fait ma vie, et c’est à Paris que j’ai connu les plus grands moments de la musique et de l’art de mon temps. Ce que fûrent ces moments-là m’ont marqué, et ont marqué, je crois, l’époque. J’ai l’impression d’avoir été à la fois témoin et acteur, car très rapidement j’ai été mélé au mouvement musical parisien et par conséquent le mouvement musical du moment. J’ai très rapidement écrit et vu jouer mes oeuvres, il y a quarante ans cette année, en 1924, au moment ou je suis en train de prononcer ces paroles, on jouait une oeuvre de moi au théatre des Champs Elysée qui était un petite opéra-bouffe que j’avais écrit qui s’appellait "Le plumet du Colonel" dont j’avais écrit à la fois les paroles et la musique, qui fut créée en même temps qui était créé à Paris "l’histoire du soldat" de Stravinsky. J’eus la fortune de connaître à la fois Darius Milhaud, .....du Lot, Francis Poulenc, Georges Auric, Jean Cocteau, Eric Satie, et d’autres personnalités éblouissantes que j’avais rencontrées au Boeuf sur le Toit qui venait à ce moment-là de naître rue Boissy-d’Anglas et qui créait non point le café littéraire tel que l’avait connu les symbolistes, mais une sorte de réunion prodigieuse des arts du temps puisqu’on y voyait à la fois les dadaïstes, les cubistes, les tenants de tout l’art contemporain qui venaient non point boire, non point s’amuser, mais se réunir dans une sorte de camaraderie étonnante comme s’il y avait là une sorte de comment dirai-je, d’atelier où tous se rencontraient pour, en riant et en s’amusant, créer l’art du temps.

Ce qui était la vie artistique à Paris à ce moment-là nul ne peut l’imaginer qui ne l’a vecu. En effet, d’abord la disponibilité totale des artistes complètes, et l’on pouvait passer à ce moment-là une journée toute entière soit avec Stravinsky, soit avec Picasso, soit avec Satie. On avait le bonheur et le privilège absolument extraordinaire d’arriver chez eux à dix heures du matin et de rester avec eux jusqu’à quelquefois minuit ou plus tard dans la soirée. Et c’était à ce moment-là le sentiment d'une comment dirai-je, d’une chose, d’un mouvement de spontanéité artistique totale, qui était, que je n’ai jamais retrouvée chez aucun autre que les êtres et les créateurs de ce temps-là. Il y avait en eux vraiment un besoin d’expression libre, spontanée, qui échappait à toute contrainte, à toute aesthétique, à toute volonté préméditée, mais simplement d’une création constante et continue. Jean Cocteau a dit un jour de Picasso que l’oeuvre sortait de lui comme l’eau sortait d’une pomme d’arrosoir. Et bien je crois que on pourrait dire cela et on peut appliquer cette image à tout l’art de ce temps, à tout le mouvement artistique de cette époque, qui a fait au fond tout notre temps, car, si l’on considère bien un petit peu les temps modernes n’est-ce pas, nous considérons que les grands phares de l’époque sont ceux qui ont ébloui, qui ont ébloui toute notre jeunesse, que ce soit Appolinaire, que ce soit Cocteau, que ce soit Max Jacob, que ce soit Stravinsky, que ce soit Schoënberg, que ce soit Matisse, que ce soit d’autres encore, je ne sais, je pourrais en citer mille, mais ce sont toujours autour des mêmes noms que se créent les mêmes remous, qui se créent les mêmes -- il n’y a pas, les valeurs nouvelles n’ont pas été présentées,si les mouvements n’ont pas été connus, ils ont été connus en tout cas en dépendence de tout ce que nous avions à ce moment-là aimé, admiré, connu et vu naître. Deux ans plus tard, Serge Diaghilev, que mes premiers essais avaient interessé, me demanda d’écrire pour son illustre troupe un ballet qui s’appèlle "La Chatte". Ce ballet est, je dois dire, fût pour moi une sorte de consécration. Les Ballets Russes représentaient, je crois, le plus haut, le plus haut sommet de l’art contemporain. Ils avaient alors rêvelé non seulement des spectacles nouveaux, des partitions nouvelles, des grands danseurs. Mais, ils avaient surtout créé un mouvement qui avait été à l’origine de tous les bouleversements artistiques de l’époque. Que l’on pense que les Ballets Russes avaient révélé en France le "Boris Godounov" de Moussorghsky, qu’ils révélaient en France le nom de Rimsky-Korsakoff, les noms de Stravinsky, qu’ils avaient, pour la première fois, offert à Débussy la possibilité d’écrire un ballet, et qu’ils avaient monté "L’après-midi d’un faune" , un autre ballet, ainsi montrant l’important vieux rêve de Mallarmé, rêve qui voulait unir, vous savez, poésie, danse et musique, un commencement de l’interpretation qui devait apporter à Ravel la possibilité d’écrire un ballet nouveau -- en fait, ils avaient été évidemment, à l’origine de tous les grands mouvements musicaux du temps, qu’ils avaient bouleversé également notre temps et qu’ils avaient apporté à toute notre jeunesse un ferment extraordinaire d’intérêt et de révolution avec la parade de Satie, Cocteau et Picasso. C’était donc pour un musicien de mon âge quelquechose d’absolument éblouissant d’entrer dans cette compagnie et de lui apporter un ballet.

Quand les Ballets Russes avaient lancé un musicien celui-ci n’avait plus qu’à continuer. Il retrouvait, d’ailleurs, sur sa route, des gens comme Dulin, des gens comme Jouvet. Un peu plus tard je devins musicien de l’opéra en écrivant pour l’Opéra un énorme opéra que j’ai mis dix ans à écrire sur "La Chartreuse de Parme" de Stendhal avec mon ami Armand Lunel. Tout cela évoque assez facilement ce qui était la vie d’un musicien avant la guerre de 39-40. Avant la guerre, qui devait faire une nouvelle coupure comme la guerre de 14 avait fait une coupure dans ma jeunesse. Quelquefois, alors, considérant le musicien de soixante ans, que je suis devenue, a eu vingt ans, je ne regrette pas le temps de ma jeunesse. Si, je regrette parfois de ne pas en avoir mieux usé.


QUESTIONS DE COMPRÉHENSION ET DE RÉFLEXION
  1. Comment est-ce qu’il est venu à Paris, Sauguet?
  2. Quelle était sa réaction au "Pierrot Lunaire" de Schoënberg?
  3. La disponibilité totale des artistes à l’époque les permettait de faire quoi?
  4. Qui est- ce qui lui a commandé l’oeuvre que Sauguet considère comme une consécration? Quelle était cette oeuvre?
  5. Comment décrit-il le rôle de Serge Diaghilev dans la vie des musiciens de l’époque?
  6. Réfléchissant sur la vie, Sauguet exprime-t-il des remords? En est-il content?
  7. Qu’est-ce qu’il donne comme explication pour le choix de voie musicale qu’il a fait en arrivant à Paris?
  8. Comment imaginez-vous cette vie d’artiste des années 1920 ? Quels artistes a-t-il cités dont vous connaissez l’œuvre, ou le nom ?